J’avais plein de choses en tête ce jour là. Je pensais à la facture d’électricité que je n’avais pas encore payée, à ma mère qui voulait absolument me prêter de l’argent et à mon frère, à qui je voulais téléphoner en rentrant malgré le décalage horaire. Si on y réfléchissait bien, si maintenant il était sept heures du matin, avec quatorze heures de décalage, il devrait-être chez lui… Vingt et une heure. C’est bon, c’est un couche tard de toute manière. Je voulais lui parler de maman, voir s’il pouvait calmer ses ardeurs de mère et lui dire que je m’en sortais très bien.

La tête baissée, j’avançai en faisant bien attention où je mettais les pieds. J’étais toujours exténuée à la fin de mon service et, comme d’habitude, je traînais mes pieds et mon corps tout entier jusqu’à chez moi. Je ne regardais ni les vitrines des boutiques encore fermées, ni les quelques ivrognes qui décuvaient dans les ruelles adjacentes. J’avançais dans l’espoir d’être bientôt arrivée, ne relevant la tête que pour regarder si le feu tricolore était enfin passé au vert. En m’engageant dans une rue moins passante, j’y sentis pour la première fois une bonne odeur de pains chauds venant tout juste de sortir du four. Littéralement absorbée, j’avoue avoir complètement oublié qu’il fallait que je fasse des économies pour avoir encore le droit à la lumière et à la télévision un mois de plus, mais tant pis. Ce n’était pas un croissant et un café qui allaient me ruiner. D’ailleurs, c’était soi par paresse ou par gourmandise mais j’ai subitement coupé par le Minami Ikebukuro Park pour y déjeuner et fumer, tout en observant la fontaine jaillir et laisser retomber son eau avant de recommencer, bercée par les bruissements du vent dans les arbres.

Sur le coup, lorsque mon téléphone portable a sonné, j’étais dans un tel état de léthargie que je n’ai pas réagis. J’ai papillonné des yeux, éblouie par la lumière qui filtrait mal à travers les feuilles d’arbres, et j’ai compris que oui, je m’étais bel et bien endormie, et cela assez longtemps pour que le parc soit remplis.
Je me suis rapidement redressée, étonnée de m’être endormie ici tout en cherchant dans la poche de mon blouson mon paquet de cigarette… qui n’y étais plus. J’ai maugréé quelques secondes la personne qui me l’avait piquée avant de me calmer, ayant soudain un affreux mal de crâne que j’essayai de faire passer en frottant mes doigts contre ma tempe. J’ai regardé la personne assise à ma droite, et tout en arborant un faible sourire, je me suis entendue demander :

« Vous n’auriez pas une cigarette, n'importe laquelle… ? »

Ce n’était pas dans mes habitudes de quémander, mais là, je n’en pouvais plus. Il me restait encore un quart d’heure de marche jusqu’à chez moi et j’avais besoin de me réveiller un bon coup pour y arriver. Sinon, je crois bien que j’aurai continué à dormir sur ce banc…

Elle parlait, parlait et parlait... Elle faisait ça depuis qu'elle avait quatre ans, elle baragouinait des phrases qui lui passaient par la tête, elle lisait toutes ses pensées à voix haute sans pouvoir s'arrêter. Ça aurait vite pu énerver des impatients, mais pas moi. J'avais un peu l'habitude, il faut l'avouer, et surtout, j'aimais bien écouter les gens. C'était ma petite déformation professionnelle. Dans les taxis, il y a ceux qui veulent te parler, qui veulent faire passer le temps. Il y a ceux qui préfèrent regarder par la fenêtre ou te poser quelques questions, et il y a ceux qui s'en foutent royal et qui attendent juste d'être arrivés à destination.

Lily dormirait chez moi ce soir, et tous les autres soirs jusqu'à ce qu'elle rentre chez elle ou qu'elle soit majeure et décide de partir. C'était une condition non négociable et il ne fallait pas qu'elle gaspille le peu d'argent qu'elle avait en hôtel hors de prix. Et puis, mine de rien, ça me faisais plaisir de la revoir, elle avait tellement changé...

Tandis qu'elle continuait de blablater, j'hochais la tête et esquissais quelques sourires. Je l'écoutais, hein, n'allez pas croire le contraire... Puis tandis que je continuais de la tirer pour tenter de m'extirper de la foule, elle s'arrêta net et me fixa avec des yeux ronds.

« Ah ... Ma valise ! J'ai plus mes affaires là avec moi ! Je me suis énervée tout à l'heure et ... Je l'ai jetée à la sortie de la gare, devant un restaurant ... Là où y avait ce mec connu là ! Simon je crois, un russe noir ...»

J'ai soupiré, passé un doigt sur ma tempe pour réfléchir à ce que nous allions faire.

« Bon... C'est à l'opposé mais c'est pas grave, on va allé la chercher ta valise. Puis on s'arrêtera manger un peu, j'ai les crocs et toi aussi je pense. »

En même temps, je n'avais pas envie de manger du sushi bizarre. J'aurai bien avalé une bonne grosse pizza, tomate, jambon, champignons, fromage et oeuf, mais j'avais encore plus la flem.

En bref, nous avons fait tout le chemin inverse, se laissant guider par la foule avant de s'arrêter devant le restaurant.

« Maaah.... Où est-ce que tu l'as jetée? Dis! Simon! Tu n'aurais pas vu une grosse valise? »

« Oh! Si! Elle est dans le restaurant » Annonça-t-il avec un grand sourire. Si c'était pas de la vente forcée ça.

« Thank you ! »

Nous sommes vite rentrées dans le restaurant où je demandais la valise de Lily. Ils l'avaient posé table n°7. Normal.
Nous nous sommes donc installées table n°7 où nous avons pu commandé. Je décidais de prendre le plat du jour, habitude personnelle qui me faisait découvrir de nouveaux plats et qui m'évitais d'avoir à choisir pendant des heures. J'attendis que Lily se décide tout en insistant sur le fait qu'elle pouvait prendre ce qu'elle voulait et que aujourd'hui, c'était moi qui régalais. Lorsque nous attendions notre commande, elle fut soudain calme et silencieuse. Elle devait avoir tellement faim qu'elle était déjà épuisée je suis sûre. Je décidais d'en profiter pour lui extirper une ou deux informations, histoire d'attiser ma curiosité.

« Parlons sujets qui fâches. Tes parents sont au courant au moins que tu es là? Si tu veux je peux les appeler pour calmer le jeu, faire croire que ton voyage était prévu de longue date. »

Je commençais à manger les apéritifs présents sur la table, la laissant me raconter ce qu'elle pouvait avoir sur le cœur si elle le voulait et poser les questions dont elle voulait une réponse.

(Une réponse tout les trois siècles, si c'est pas beau ça! :'D)