À l'origine de cette chose, il ne s'agit que d'un jeu. Aoba Kuronuma se tient alors, debout, en face de cette grande vitrine. Le premier qui lâche ses yeux a perdu. Lui, le perd jamais. Il le scrute, son adversaire, sans ciller. Celui d'aujourd'hui est doué, lui-aussi. Cela fait deux heures qu'ils sont l'un autant que l'autre perdus dans les méandres de leurs iris. Exactement de la même couleur, par ailleurs. L'adversaire d'aujourd'hui est un parfait mime : à chacun de ses mouvements, il reproduit dans le même laps de temps un autre mouvement. C'est un adversaire vraiment difficile. De la sueur commence à perler au front mais quelqu'un chose lui dit que le jeune homme en face de lui. Il va se rendre, il va perdre. Perdre, la première fois. L'autre est trop coriace pour lui. Alors, il cille. Pour la première fois et s'aperçoit que l'autre en a fait autant, en même temps, non, avant lui !!! Il a perdu ! Il a perdu, il scille ! Il commence alors à rire. Tout seul, dans cette rue pleine de personnalités qu'il ne connaît ni d'Ève ni d'Adam. Il rit et l'autre en fait autant. Aoba soupira alors, et lâcha la glace-miroir du regard. Jouer avec son reflet était bon pour s'entraîner au « jeu du regard » mais il n'avait pas vraiment envie de finir comme Narcisse, non plus.

Il est 21h. Pas très tard et trop tard à la fois. À cette heure-là, il devrait déjà être couché, un livre entre les mains ou attendant ce damné marchand de sable. Qui ne vient pas. Ça se passe comme cela pour à peu près tout garçon normal. Tout ce que n'était pas Aoba Kuronuma. À vrai dire, il avait passé cette dernière journée en ville, à farfouiller le long des rues un peu noires et désertes. Comme s'il voulait trouver quelque chose ou quelqu'un. Il paraissait peut-être avoir un but précis, cependant, en réalité, il s'ennuyait. Plus que tout. Plus que quiconque. Le refrain monotone de la vie lui donnait envie de donner un coup de punch au quartier d'Ikekuburo, de leur monter une petite intrigue de ses propres mains et d'aller titiller la fierté de ce cher Orihama Izaya. Son rêve le plus cher. Voir Izaya-san détruit comme une vulgaire bouse de vache. Le même entre les grosses pattes de Heiwajima Shizuo et le laisser là-bas à jamais, qu'il meure et tant pis. Sa disparition ne serait pas vraiment une grande perte pour la ville, puisque lui, le grand Kuronuma le remplacerait.

Mais ces délires de grandeur n'avait, du moins en ce moment, pas lieu d'être. Izaya Orihama était encore vivant et jusque là, toutes ses tentatives de se débarrasser de lui, même temporairement, avait échoué. Son plan concernant sa sœur était pourtant en pleine évolution : on verra ce que cela donnera dans un futur proche. Un air morose accroché au visage, il regarda un panneau de circulation et, au milieu de la foule :

« Merde, où je suis ? »

C'était l'époque où le portable de ce cher Aoba n'était pas muni d'un GPS. Par conséquent, il ne pouvait pas s'orienter dans cette satanée ville sans passer un coup de téléphone à quelqu'un muni d'un ordinateur portable. Ce qui n'avait pas une seule seconde effleuré ses pensées. Il allait se retrouver, c'était certain. Il devait juste ne pas reconnaître l'endroit car il n'avait pas l'habitude de le voir ainsi déserté par la foule, c'était tout. Au fur et à mesure qu'Aoba se promenait, en effet, les habituels marcheurs avaient fini par rentrer un par un chez eux, et de ce fait, exception faite des trois-quatre qu'il croisait de temps à autre.

« Bon, réfléchis, maintenant, Aoba-kun. Faudrait tout de même retrouver son chemin avant que la rue ne soit déserte !!! »

Il éclata de rire puis, une main dans sa poche, joua avec son briquet. Non pas qu'il l'alluma. Il s'amusa juste à le toucher jusqu'au moment où il le sortit.

« C'est embêtant. Boring. Ennuyeux. »

Une flamme apparut à l'extrémité du briquet.

Ce qu'il aime, c'est sentir son doigt se frotter contre la pierre du briquet. Le râper, en quelque sorte, et la vague de chaleur que dégage à ce moment-là l'objet allumé. Aoba Kuronuma n'est pas un psychopathe. Il n'est pas vraiment un maniaque du feu, c'est juste qu'il apprécie d'avoir un briquet entre les mains. Plus que tout, il aime se laisser aller et faire ce qui lui plaît, de quelque façon qui soit alors je corrige la phrase d'avant : oui, peut-être, il est sans doute un peu psychopathe sur les bords mais tellement pas que ça ne se remarque presque pas. Si il y a une chose que l'on se doit de savoir sur Aoba Kuronuma, c'est que l'habit ne fait pas le moine. Surtout si ce moine-là possède un uniforme de lycée et qu'il arbore un sourire éclatant. L'habit ne fait certainement pas le moine car en voyant sa tronche illuminée, vous ne vous douterez certainement pas que celui-ci fait partie, ou plutôt est le chef de ces fameux carrés bleus qui recommencent peu à peu à semer la couleur en ville. Mais cela, il se retiendra de le crier sur tous les toits. L'anonymat tient dans la discrétion.

À ce moment-là, lorsqu'il s'amusait avec son briquet, ses pensées l'avaient, un instant, renvoyé dans le passé et une bouffée de nostalgie l'avait saisie. Le feu, toujours le feu. Il fallait tout brûler pour rendre les choses meilleurs : c'était comme cela. Quelque chose qui ne pouvait se défaire et qui était radical. Un principe élémentaire, le feu. Parfois, il avait l'impression d'être fou, surtout avant. Après ce que son frère lui avait infligé, Aoba Kuronuma avait réellement souffert. Il s'était demandé s'il ne valait pas mieux qu'il passe de vie à trépas ou même...qu'il le tue, lui, l'élément gêneur, définitivement. Il ne savait ce qui lui avait pris mais finalement, purifier la maison par le feu avait été beaucoup plus...radical. Il se souvenait du rire qu'il avait eu à ce moment-là, du haut de la terrasse d'un immeuble d'où il observait la scène. Les flammes qui s'envolaient, si majestueuses, si grandioses et puis l'engueulade qu'avait dû accuser son frère, juste après cela. Si magnifique, si jouissif. Et vu toutes les punitions qu'il avait enduré, Aoba avait décidé de lui pardonner...pour le moment.

Quelqu'un intervient dans son chant. Il sursaute, il n'a pas fait attention. Qui pourrait lui en vouloir ? Ce n'est sans doute pas un tueur, par conséquent, la flamme du briquet vacille, il s'éteint et redevient comme il était au premier instant. Peu importe. Tout ce qui compte, c'est qu'il s'est laissé distraire par ses maudites pensées et qu'il n'a pas vu cet individu entrer dans son « cercle ». Non pas qu'il s'en veut mais, comme il se l'ait dit tout à l'heure, cela aurait pu être beaucoup plus dangereux. Le garçon sent la fumée que rejette cet homme si étrange qui lui fait face. Il ne le connaît pas, à première vue. Il s'agit d'un homme assez...bizarre, on pourrait dire cela comme ça, à la forte odeur de vin et aux cheveux longs châtain clair. Probablement une coloration. Selon ses critères, il n'est pas laid, et si il ne fumait ni ne buvait pas, Aoba aurait même pu dire qu'il était fréquentable. Mais il fume et il boit. Et Aoba-kun déteste l'odeur de la fumée de la cigarette car un être abject de sa famille lui a convenablement appris à la haïr. Sa prochaine action paraît alors évidente. Il va enlever de la bouche du fumeur ce bâtonnet qui lui fait tant horreur, même s'il ne connaît pas, juste parce qu'il a utilisé SON briquet pour allumer sa merde.

Alors, il fonce sur Suzaku sans une seule hésitation. Les fous n'hésitent pas, de toute façon et combien même Aoba n'était qu'un demi-fou, il n'aurait eu aucune raison d'hésiter, ce coup-ci. Il chope à l'aide de deux doigts la cigarette, la jette au sol et la piétine, son sourire de tous les jours aux lèvres et chantonnant.

« Le tabac, c'est tabou, on en viendra tous à bout...~ »

Et en plus, il lui demandait ce qu'un lycéen comme lui venait faire ici de nuit ? Argh ? Il était de la police ou quoi, ce type ? Ou pire, peut-être faisait-il partie d'un réseau mafieux ou il ne savait quoi. Peu importe : de toute façon, Aoba, un briquet à la main, savait à peu près se défendre et l'avait prouvé maintes fois auprès de ses sujets dits récalcitrants des carrés bleus. Il n'était pas tendre lorsqu'il s'agissait de bagarre et alors, son sourire s'élargissait...comme s'il n'était qu'un démon, un foutu démon comme cet Izaya.

Il était décidément de méchante humeur. Nulle envie de parler à ce type saoul de son sens de l'orientation pourri. Nulle envie également de lui parler tout court mais visiblement, il n'allait pas avoir le choix, surtout qu'après ce qu'il venait de lui faire, les choses n'allaient certainement pas s'arrêter à ce stade. Et puis il y avait ce mal de tête, ce truc qui le dérangeait et qu'il n'aimait pas, depuis que cet inconnu était là. Pourquoi voulait-il le déranger, n'avait-il pas un briquet ? Bon...Autant ne pas faire l'idiot et ne pas casser sa couverture. Jouer au bad boy ne servirait strictement à rien, au contraire, plus l'autre en serait, plus Aoba serait mal en point.

« Enchanté Monsieur ! », dit-il avec un sourire qui en aurait enchanté plus d'un, « Je suis désolé mais...Vous allez mourir, si vous continuez à fumer ! »

C'était idiot. Mais c'était un avertissement caché.
La discrétion est le fin mot du jeu.